L’eau est le milieu naturel des formes les moins évoluées de la vie. Et les lecteurs de la Bible savent combien les eaux sont liées au chaos originaire, aux stagnations morbides, à la destruction. Du tohubohu des commencements quand « la terre était informe et vide » et que « l’Esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux », au récit du déluge où l’arche de Noé fut transportée au-dessus des eaux, apparaît une idée régulatrice : le divin et son image terrestre, l’humain, s’emploient à dompter les eaux, à s’élever au-dessus des eaux, à échapper aux eaux pour ne pas les subir. Le récit de la séparation des eaux de la mer rouge pour la traversée des curieux voyageurs abonde dans le même sens.
Qu’est-ce que les scènes répétées de chaos et d’inondation après la pluie à Kinshasa disent de l’homme congolais et du kinois en particulier, de ses propriétés ontologiques ? C’est une question qui donne matière à penser et à laquelle chacun pourra répondre. L’auteur de la fameuse citation : « après la pluie vient le beau temps » n’était pas congolais, d’autant plus qu’il se fait maudire à chaque fois qu’après la pluie la ville de Kinshasa reste sous les eaux pendant plusieurs heures, que les routes sont impraticables et que mort s’ensuit, dans les pires des cas, comme pour la pluie tombée dans la nuit du 13 Décembre 2022. On parle déjà de 100 morts.
L’urbanisation sauvage à Kinshasa est un problème d’ordre technique. Mais il ne se comprend mieux qu’en tant que résultat concret d’un contexte politique inadapté à une réalité essentielle qui caractérise les temps actuels : l’ère de l’homo urbanus (homme de la ville). Dès le moment où la ville devient le théâtre des interactions sociales et des pratiques habitantes de plus en plus importantes, intriquées, et innovantes, l’intelligence est appelée à lui créer un espace de régulation politique (parce qu’il s’agit bien de la cité : polis) approprié. Les villes du 21ème siècle sont très loin d’être des agglomérations primaires ou campe une main d’œuvre mobilisée pour les seuls besoins industriels. La ville de nos jours est un art de faire et de vivre, où le nombre conjugué à l’espace fait naître des considérations de participation à l’organisation spatiale, de pouvoir et de légitimité.
La ville est donc un enjeu démocratique de premier ordre. Le peuple de la ville y a ses raisons de réclamer le pouvoir de donner directement mandat à ceux qui le dirigent. La ville-province de Kinshasa est trop grande, trop anarchique, trop encline au tohubohu pour que ceux qui la dirigent (le gouverneur et le gouvernement provincial) tiennent leur pouvoir des seuls députés provinciaux. À Kinshasa comme dans les autres provinces, toutes proportions gardées, les représentants provinciaux largement oubliés du public ont gagné la réputation de se faire corrompre pour soit voter, soit maintenir, soit déchoir les exécutifs provinciaux.
De toutes les raisons évoquées depuis le début de la législature en cours pour déchoir plus ou moins la moitié des gouverneurs des 26 provinces que compte la RDC, aucune n’a frôlé les questions urbaines et les vraies préoccupations des populations dont les conditions d’existence matérielle sont des plus difficiles. Et il est frappant de constater que se sont maintenus par ailleurs des exécutifs provinciaux qui ne brillent que par l’inaction en ce qui concerne l’urbanité et l’organisation de la vie dans nos villes. Face à ce paradoxe, surtout à Kinshasa, le problème ou le seul problème n’est pas le gouvernement provincial, c’est surtout l’assemblée provinciale. Le principe de la séparation des pouvoirs veut que le pouvoir arrête le pouvoir. Dans ce cas le problème n’est pas que le gouvernorat dérive et échoue à rendre Kinshasa viable (ce qui est prévisible), mais que le mécanisme (l’assemblée provinciale) qui doit le contrôler ne fonctionne pas et jamais. En pratique, le gouverneur de Kinshasa ne nous doit rien, il doit tout aux députés provinciaux.
La politique en RDC a été trop longtemps abandonnée à la corruption que pour des enjeux de taille comme ceux que nous connaissons dans notre ville (embouteillages, inondations, criminalité, délabrements urbains, mauvaise exécution des travaux publics) il est totalement injustifié que l’on continue de voter les gouverneurs de manière indirecte. Les assemblées provinciales peuvent ou doivent continuer d’exister pour des fins qu’on connait, mais pour ce qui est de voter des gouverneurs il faudra activement envisager d’ouvrir la participation à tous les citoyens, participation doublée des mécanismes citoyens de contrôle et de renvoi des gouverneurs contre-performants en fonction des dispositions légales claires à établir. Il y a suffisamment de matière à creuser et à proposer là-dessus. 2028 serait une échéance raisonnable pour commencer.
Aux congolais de faire une entrée en citoyenneté plus aboutie et sans concessions. La ville étant un droit (voir le « le droit à la ville »), il nous appartient de la penser à nouveaux frais, de la revendiquer plus passionnément en nous engageant autrement.
Il faut remettre la cité au citoyen et organiser la vie dignement, pour tous.
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