Les dangers qui guettent la profession des journalistes ont longtemps conditionné l’attitude générale face à ce corps professionnel, et construit en faveur de la presse un ordre d’exigences autant valides qu’à sens unique. Intimidés, piétinés, parfois tués lâchement un peu partout dans le monde, les journalistes jouissent avec raison d’un inépuisable stock de sympathie. L’activisme conséquent pour la liberté de la presse, pour la liberté d’informer et de s’informer, nous apparaît cependant comme insuffisant voire mal préparé pour garantir un journalisme de qualité dans le chef de tous ceux qui se réclament de la noble profession, surtout à l’ère des réseaux sociaux.

La révolution numérique n’a pas manqué d’influencer l’art d’informer en République Démocratique du Congo. Mais elle a aussi, incidemment, permis de donner une prime à l’art de désinformer, ce dernier étant moins revendiqué que le premier mais tout autant pratiqué, si pas plus, avec des effets hautement néfastes pour la société et la démocratie.

Le climat conflictuel entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda (pays parrain du mouvement terroriste M23) est à présent le point d’apparition d’une pratique journalistique qui prend pour elle tous les avantages de la profession et la sympathie qu’inspire cette dernière pour injecter dans la masse des paquets d’informations hautement questionables, quand elles ne sont pas totalement infondées et inspirées du Rwanda.

En ce temps de guerre, des comptes des journalistes en ligne ont quasiment été transformés en outils de propagande pour l’ennemi (en l’occurrence le M23) en ce qu’ils relaient ses vues de façon automatique, sans même leur adjoindre les sons de cloche de la parole officielle congolaise aux fins de permettre des mises en perspective utiles. 

Pourrait-on envisager qu’au Rwanda un média tente l’outrecuidance de relayer ne serait-ce qu’une syllabe du discours officiel de Kinshasa, ou, pour prendre un autre exemple géographiquement lointain mais avoisinant par la nature du contexte, qu’un média russe serve aux citoyens russes, comme du prêt-à-manger, les discours et les démentis des officiels ukrainiens dans la guerre qui oppose l’Ukraine à la Russie ?

L’existence de ce journalisme qui fricote non seulement avec les travers des réseaux sociaux, mais qui capitalise surtout sur des pratiques à la limite de l’antipatriotisme aurait eu moins d’attention s’il s’était agi d’un épiphénomène, d’une brise passagère qui ne saurait perturber l’ordre des esprits. Mais comme par enchantement, un segment important de la société incline à faire de la place à ce libertinage de la presse (lequel n’est pas liberté), et va jusqu’à dénier le droit de remettre en question ces spécimens de journalisme qui s’illustrent par la déformation des faits et qui se font l’écho des missives terroristes du M23. 

Il faut ajouter que le soutien quasi-indéfectible des copains de la corporation (presse) ne peut qu’aggraver la situation.

La mécanique totalitaire est donc bien en gestation. Ce journalisme étourdi qui entend s’affranchir de la contradiction, qui ne conçoit aucun rappel à l’ordre, et qui a pour lui le délire victimaire en se substituant aux vrais journalistes en danger et en instrumentalisant leurs difficultés, est sans doute aussi la conséquence d’un laxisme collectif plus ancré. La question du contrôle effectif du pouvoir médiatique n’intéresse pas beaucoup de monde. Le blanc-seing accordé sans exception aucune à tous ceux qui se réclament de la presse, conjugué à l’inaction des instances publiques face aux avatars qui font de l’influence nocive à petits frais plutôt que de l’information objective, comporte un gros risque démocratique qu’il faut gérer et mitiger.

Il y a une grande part de libertinage journalistique, d’inconséquence professionnelle, et d’étourdissement rédactionnel qu’il faut cerner et détacher du corps de la presse, pour donner au journalisme une respiration saine et garantir sa protection à une presse professionnelle et moralement défendable. Il est plus que temps de s’y atteler.

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